Les photographies choisies pour cette exposition photographique témoignent de la richesse des fonds départementaux et régionaux.
Certaines d’entre elles sont issues du musée Quentovic et du musée de la Marine de la ville d’Étaples-sur-Mer, du musée Opale Sud de Berck-sur-Mer et du musée des beaux-arts d’Arras. Elles mettent à l’honneur des photographes de renom de la fin du 19e et du début du 20e siècle, tels que Joseph Quentin (1857-1946), Eanger Irving Couse (1866-1936) ou encore Louis Achille Caron (1847-1931) et Achille Adolphe Caron-Caloin (1888-1947). Les archives départementales et les archives municipales de la ville de Boulogne-sur-Mer possèdent des archives photographiques tout aussi intéressantes.
Les recherches ont également permis de redécouvrir des photographes moins connus comme Désiré Appourchaux (1898-1975) ou Edouard Maury (1858-1914). Cette exposition est aussi l’occasion de mettre en lumière la photographie contemporaine avec des artistes qui ont travaillé à la valorisation des savoir-faire du Pas-de-Calais. La dentelle de Calais est ainsi sublimée par l’objectif de Paul Maurer et de Philippe Schlienger. Le quotidien des marins-pêcheurs est poétisé dans l’œuvre de Frédéric Briois et de Ludovic Caloin, lui-même marin-pêcheur et photographe amateur. Enfin, des photographies proviennent de particuliers passionnés, comme Jean-Marie Minot et Didier Vivien.
La photographie n’est pas le seul médium utilisé pour représenter le monde du travail, mais il possède deux avantages : la capacité à enregistrer le réel tel qu’il se présente devant lui, notamment depuis l’apparition de la photographie dite instantanée dans les années 1880, et la possibilité de reproduire ces images sans limite de nombre ou de support (carte postale, livre, etc.). Cette invention apparaît au moment de la révolution industrielle et permet de témoigner des évolutions profondes qui en découlent, notamment dans le monde du travail.
Les photographies du monde industriel représentent surtout les machines et les installations, avec parfois la présence d’ouvriers debout à côté. Il y a finalement peu de représentations du travail en tant que telle. Cela traduit-il une réticence à montrer les conditions des travailleurs ? Encore dans la deuxième moitié du 20e siècle, le photographe Gérald Bloncourt témoignait de la difficulté pour un photographe d’entrer dans les usines et de photographier les ouvriers au travail.
Peu importe les activités représentées, la majorité des photographies conservées semblent ne refléter qu’une partie de la mémoire du monde du travail. Ainsi parmi les clichés conservés montrant les bassins miniers du Nord, on constate une grande absence de reportage sur la vie dans les corons. François Kollar dans La France travaille montre avant tout des clichés exaltant les valeurs historiquement attribuées à la figure du mineur, comme le courage, la dignité ou l’humilité. Si de nombreux photographes français semblent suivre ce schéma, ce n’est pas le cas dans d’autres pays. Ainsi les belges Henri Storck et Joris Ivens ont mené un travail plus militant visant à dénoncer la misère sociale.
Malgré l’impression de cliché pris sur le vif, les photographies sont préparées et composées. Le rendu est finalement le fruit d’un travail de préparation qui révèle un parti pris de l’auteur. Jan Middelbos distingue trois grandes catégories d’images relatives au monde du travail qui portent chacune une forme de subjectivité :
- Les photographies dites industrielles, souvent commanditées (voire réalisées) par l’employeur, qui mettent surtout en avant les appareils de production.
- Les photographies de presses, commande extérieure qui vise avant tout à rendre compte d’événements sociaux et économiques comme les inaugurations ou les grèves. Ces clichés sont associés à un discours qui vise d’autant plus à orienter le lecteur.
- Les auto-représentations, photographies prises par les travailleurs eux-mêmes ou par des photographes professionnels invités par le personnel. Elles donnent accès à l’ambiance sur le lieu de travail mais sont souvent plus difficiles à obtenir puisque souvent conservées chez les particuliers (dans des albums de famille par exemple).
Cette subjectivité inhérente à la photographie pousse à s’interroger sur la construction de la mémoire collective : dans quelle mesure l’iconographie produite a forgé notre imaginaire du monde du travail à des moments spécifiques au lieu d’être un témoin objectif ? Est-ce que l’image photographique est capable de révéler quelque chose du travail ou est-elle finalement juste une occasion d’en parler ?