Genèse du projet
La Légion d’Honneur, instituée pour prix des vertus civiques et militaires à l’initiative de Napoléon Bonaparte , est une loi du 19 floréal an X (19 mai 1802). L’ordre s’organise sous la houlette de son grand chancelier, le comte Étienne de Lacépède, et les premiers rôles sont publiés en 1803. C’est dans la chapelle des Invalides à Paris le 15 juillet 1804 que l’empereur fraîchement intronisé, en présence de l’impératrice et d’un parterre choisi, procède à la première remise des insignes de la Légion d’Honneur en faveur de quelques dignitaires du régime.
Trois jours après la cérémonie des Invalides, alors que Napoléon rend visite au camp de Boulogne pour parcourir les camps et les fortifications, inspecter les garnisons et faire manœuvrer la flottille, germe dans son esprit l’idée d’une distribution plus éclatante que celle effectuée aux Invalides : celle de remettre le 16 août les emblèmes de la légion d’Honneur aux braves de son armée , scellant définitivement l’union de la Nation en armes avec son chef.
Tandis que l’Empereur part en tournée le long des côtes jusqu’à Ostende, les préparatifs vont bon train. Pour la circonstance, des renforts de troupes sont acheminés d’Arras, d’Amiens, de Compiègne et de Bruges vers l’ample vallon de Terlincthun, situé dans la commune de Wimille, un amphithéâtre naturel ouvert sur la mer qui se prête idéalement à la circonstance.
À l’annonce de l’évènement, une foule de près de 25 000 curieux accourt . Certains font même le voyage depuis Paris pour assister au spectacle grandiose : princes, ministres, grands officiers de la Couronne, sénateurs, conseillers d’État et maréchaux sont invités à assister à l’événement.
Programme des festivités
En guise de prélude, le 15 août, un vibrant Te Deum est chanté à grand renfort de musiques militaires en l’église Saint-Nicolas par l’évêque d’Arras, en présence de nombreux notables.
Le 16 août 1804, la salve des vingt-et-un coups de canon tirée dès l’aube des batteries côtières, unie au carillon des cloches de la ville, donne le signal : 60 000 militaires de toutes les unités se disposent en vingt colonnes profondes. Toutes rayonnent d’un point central tandis que la cavalerie se range sur la périphérie de ce demi-cercle.
À la tête de chaque colonne, les généraux entourés de leurs états-majors respectifs prennent place, et devant eux, répartis eux-aussi entre les vingt colonnes, quelques 2 000 hommes, héros du jour.
Au centre, sur un tertre artificiel, se dresse une haute estrade couverte d’un dais surmonté d’une gigantesque couronne de lauriers d’or. Un trophée réalisé avec des dizaines de drapeaux enlevés à l’ennemi au cours des guerres de la liberté y a été déposé, ainsi que l’armure décorée de l’électeur de Hanovre que les troupes de Mortier avaient récemment ravie à la couronne britannique.
Au milieu de la plate-forme couverte de riches tapis est posé un trône en bronze, fauteuil supposé être celui du roi Dagobert. Quarante musiciens régimentaires ainsi que deux mille tambours se tiennent à droite et à gauche de l’estrade. Devant elles, la garde impériale rangée en bataille.
A midi, sous son uniforme de colonel de chasseurs à cheval de la garde impériale et coiffé de son bicorne noir, Napoléon arrive à cheval et rejoint la tribune pour prendre place au milieu des dignitaires civils et militaires de l’Empire.
Après une brève allocution du comte de Lacépède, l’empereur prononce la formule du serment des légionnaires, ajoutant à l’adresse de l’armée entière :
Et vous, soldats, vous jurez de défendre au péril de votre vie, l’honneur du nom français, votre patrie et votre empereur ?
L’armée clame
Nous le jurons
et ovationne le général.
La distribution des insignes des mains de Bonaparte lui-même peut commencer, insignes présentés dans un casque et un bouclier antiques qu’on prétend être ceux de Du Guesclin et du chevalier Bayard. Cette symbolique place la Légion d’Honneur dans la continuité de l’esprit chevaleresque et de la valeur guerrière française. La médaille est une étoile appendue à un ruban de soie moirée rouge. Ses cinq doubles rais émaillés de blanc, ceints d’une couronne de feuillage, partent d’un disque cerclé d’émail bleu à l’effigie du monarque, portant la légende "Napoléon, Empereur des Français". Son revers est frappé de l’aigle impériale avec la devise de l’ordre "Honneur et patrie".
Les récipiendaires se succèdent suivant la seule hiérarchie des grades propres à l’ordre. Pendant près de trois heures, se succèdent 16 grands-officiers (dont les maréchaux Jean-de-Dieu Soult et Michel Ney), 49 commandeurs, 189 officiers de l’ordre, tous gratifiés de l’aigle d’or, suivis d’une multitude de simples chevaliers honorés de la petite aigle d’argent.
Seuls douze civils obtiennent cette faveur : un conseiller d’État, trois préfets, le maire de Dunkerque, trois évêques dont celui d’Arras. La ville de Boulogne compte plusieurs de ses enfants : le capitaine de frégate Vattier, le capitaine d’infanterie Montbaillard, ainsi que les corsaires Cornu, Cary, Fourmentin dit Bucaille, Duchenne et Pollet.
Pour clore les festivités, une parade constituée de 60 000 hommes , marins en tête, défile au pas accéléré devant la tribune impériale jusqu’à dix-neuf heures. Alors que les réjouissances se poursuivent dans l’allégresse au sein des cantonnements, civils et militaires se mêlent dans des bals enjoués aux abords des camps. Les légionnaires sont eux conviés à un banquet géant donné en leur honneur. Après avoir soupé à sa baraque de commandement, Napoléon se retire à son quartier général de Pont-de-Briques.
Le lendemain, la fête s’achève par un somptueux feu d’artifice fait de cartouches à étoiles, tirées simultanément de la falaise et des bateaux de la ligne d’embossage.
Cet étalage de puissance et de débordement de liesse frappe les imaginations et se grave la mémoire des populations. Pour tous, l’évènement est inoubliable et son retentissement franchit les frontières mêmes de l’empire. En s’attachant publiquement la fidélité et la reconnaissance d’une élite, en faisant des légionnaires un exemple aux yeux de tous et en les vouant à l’admiration de leurs contemporains, c’est la société entière que Napoléon Bonaparte cimente autour de sa personne.