Au lieu-dit « La Motte du Bois » au nord de Harnes, deux fouilles ont été réalisées en 2009 et 2019 avant les constructions de nouveaux bâtiments pour l’usine Mc Cain. Les premières traces d’une présence humaine ont pu être observées à partir du Néolithique. À l’Antiquité une exploitation agricole s’installe et à l’époque moderne les parcelles deviennent probablement des champs.
Reconstitution des découvertes des fouilles de 2009 et 2019
Synthèse des vestiges par période pour les deux fouilles.
Montage des deux vues aériennes lors des fouilles de 2009 et 2019.
Les premiers Harnésiens ?
Crédits : CD62/ DA.
L’usage d’outils en silex commence à la Préhistoire, les 95 outils, fragmentaires ou complets, découverts à Harnes datent du Néolithique. Ils se composent de couteaux, de grattoirs, de racloirs, de poignards et de fragments de haches polies.
Un tronc en chêne de 6 m de longueur et 0,24 m de diamètre, planté à la verticale, permet de certifier la présence humaine au Néolithique. Le résultat de l’analyse au Carbone 14 donne une date autour de 4700 avant notre ère. Ce tronc isolé a été érigé par l’homme sans que nous puissions en comprendre la raison.
L’indice d’un artisanat entre le Néolithique et l’Âge du Fer
Crédits : CD62/ DA.
Un bois de cerf travaillé porte des traces de sciage et de décorticage. Le dernier époi (branche) est scié et poli, il était destiné à servir de chasse-lame, une pièce intermédiaire placée entre le silex et le marteau permettant de réaliser une percussion indirecte. Cette technique utilisée au Néolithique et à l’Âge du Bronze permet de façonner des lames fines et régulières.
Une occupation rurale à l’Âge du Fer
Fouille à proximité du bâtiment frigorifique en construction.
Crédits : CD62/ DA.
Sur le secteur le plus élevé du terrain, des populations ont creusé des fosses et des silos qui témoignent d’un lieu de vie domestique et rurale. La présence de trous de poteaux a été reconnue, mais leurs dispositions et leurs mauvais états de conservation ne permettent pas la reconstitution de bâtiment. L’essentiel des vestiges devait se situer un peu plus haut au sud sur le versant, là où un bâtiment frigorifique a été construit.
Des silos de l’Âge du Fer
Crédits : CD62/ DA.
Une batterie de dix-neuf silos s’étend sur la partie centrale des fouilles. La taille des silos est d’environ 1 m de profondeur et de 1,50 m de diamètre et ils sont utilisés pour le stockage des céréales. Ils ont ensuite servi pour jeter les détritus : tessons de poteries, charbons de bois, fragments d’os de mammifères et silex.
Crédits : CD62/ DA.
Dans l’un des silos ont été découverts des pendeloques composées d’un fragment d’os du pied d’un bœuf, d’un fragment de silex, d’un petit galet et d’une incisive de cheval. Toutes ont un trou permettant de les enfiler pour former une parure. Leur présence dans un contexte domestique n’est pas courante, ce type d’objets fait partie habituellement des offrandes funéraires.
En l’absence de bâtiment d’habitation, les silos et leurs contenus sont les seuls témoins d’une occupation humaine pendant l’Âge du Fer. Le terrain est-il trop érodé par une mise en culture intense ou par des phénomènes naturels géologiques ou climatiques ? Faute de vestige d’une occupation humaine à la fin de l’Âge du Fer, le site était-il impropre à l’installation humaine ou ces traces sont-elles disparues ?
Une occupation rurale antique
À l’Antiquité, Harnes se situe dans la cité Ménapiens à la frontière des Atrèbates .
Ménapien : Peuple de la Gaule Belgique qui réside dans une région qui correspond à la Flandre française et à la côte de la mer du Nord et dont la capitale est l’actuelle ville de Cassel.
Atrèbate : Peuple de la Gaule Belgique qui réside dans une région qui correspond à l’Artois et dont la capitale est l’actuelle ville d’Arras.
Légende : Synthèse des découvertes antiques des deux fouilles.
Crédits : CD62/ DA.
Trois phases d’occupations antiques ont pu être identifiées par les archéologues :
- La première phase est à la fin du 1ᵉʳ siècle avant notre ère et le début du 1ᵉʳ siècle après J.-C.
- La deuxième phase se situe entre la 2ième moitié du 1ᵉʳ siècle et du début du 2ième siècle après J.-C.
- La troisième phase est plus longue et elle se situe entre le 2ième siècle et le milieu du 3ième siècle après J.-C.
Au vu des objets et des aménagements, cette occupation rurale appartenait à de riches propriétaires.
La première phase d’occupation antique
Crédits : CD62/ DA/ C.Costeux / P.-Y.Videlier.
Les hommes creusent des enclos fossoyés pour délimiter des zones de cultures et d’élevages. Certains espaces sont dédiés aux activités artisanales et au stockage. Trois bâtiments de 2 à 3 m de côté ont été mis au jour dans un enclos datant de la fin du 1ᵉʳ siècle avant notre ère et du début 1ᵉʳ siècle après J.-C. Leurs architectures à quatre poteaux sont généralement associées à des greniers sur planchers surélevés. La hauteur permettait de protéger les denrées des nuisibles et de l’humidité.
Les bâtiments de la deuxième phase d’occupation antique
Une deuxième organisation en enclos est mise en place à partir de la fin du 1ᵉʳ siècle après J.-C., voir le début du 2ième siècle. L’orientation de l’angle des fossés principaux change légèrement et elle reste inchangée pour la 3ième phase d’occupation Antique.
Elle pourrait correspondre à une ferme de tradition indigène, c’est-à-dire avec des caractéristiques architecturales locales et gauloises qui n’ont pas encore été influencées par la « romanisation ».
Une étable ?
Crédits : CD62/ DA.
À l’extrémité nord-est de l’emprise de la fouille de 2009, une structure excavée profonde de 1 m a été découverte. Elle est composée de parois obliques irrégulières. Son plan est rectangulaire et mesure 160 m² (soit 16 m de longueur et 10 m de largeur). De nombreuses tuiles ont été découvertes dans les comblements, il s’agit d’un bâtiment avec une toiture. L’accès du bâtiment s’effectue à l’ouest par un sol en pente douce avec une rampe pour sécuriser la circulation des hommes et des animaux. Deux poteaux sont associés au bâtiment, ils pourraient correspondre à une partie de l’aménagement de son entrée. Le choix architectural est probablement à base de parois légères et d’une ossature sur sablières basses qui laisse peu de trace archéologique.
Un bâtiment de stockage ou dédié à une activité artisanale ?
Crédits : CD62/ DA.
À 70 m à l’ouest du premier bâtiment, une autre structure excavée d’une profondeur oscillant entre 1 m et 1,5 m a été dégagée. Sa forme est ovoïde à quadrangulaire avec une excroissance étroite dans la partie sud-ouest. Il s’agirait d’un bâtiment d’une superficie de 40 m² lié au stockage ou à une activité non déterminée dont l’accès s’effectuait par l’excroissance car sa largeur d’un peu plus de 1 m laisse suffisamment la place à l’installation de quelques marches ou d’une échelle. La fonction de ce bâtiment est difficile à déterminer. Elle est peut-être en lien avec la transformation des céréales puisque des fragments de meules ont été découverts dans son comblement.
Le troisième bâtiment sur poteaux porteurs
Crédits : CD62/ DA.
Au sud de ce premier bâtiment, des trous de poteaux forment les élévations d’un bâtiment de 6,50 m de large sur 14 m de long soit une superficie de 91 m². À l’intérieur, la disposition de 3 poteaux laisse envisager un aménagement secondaire avec une cloison de séparation. L’ouverture se fait par le côté est et des traces de poteaux de faibles diamètres peuvent laisser penser à la présence d’un auvent. Une pièce de monnaie mise au jour dans un poteau est frappée à l’effigie de l’empereur Trajan en règne de 98 à 117 après J.-C. Cette datation confirme l’idée que ce bâtiment sur poteaux a été en activité simultanément que les deux autres bâtiments excavés.
Deux celliers
Crédits : CD62/ DA.
Deux celliers ont été creusés, leur profondeur est d’un mètre en moyenne. Ils devaient être obturés par une couverture dans un matériau léger. Leurs fonctions étaient la conservation des denrées alimentaires dans un environnement à température régulière et protégé du soleil et des intempéries.
Le premier cellier est attribuable à une période comprise entre 50 et 125 après J.-C. Le deuxième cellier est datable du deuxième siècle après J.-C.
Les puits
Crédits : CD62/ DA.
Deux puits du 2ième siècle ont été mis au jour. Le premier puits d’un diamètre de 0,6 m a une base composée d’un assemblage de 4 planches en chêne formant un carré de 0,60 m de côté, le cuvelage qui le surplombe est en moellons de calcaire sur une hauteur de 2,80 m. Le second puits d’un diamètre de 1 m ne possède pas de maçonnerie, quelques résidus de calcaire laissent penser qu’il pouvait y avoir un renfort pour consolider les parois.
Où vivaient-ils ?
L’habitat quant à lui pourrait se développer au nord-ouest, hors des emprises des fouilles de 2009 et 2019. En effet, lors d’une opération de sauvetage de 1996, un grand bâtiment sur poteaux est mis au jour ainsi que d’autres bâtiments plus modestes. Ils sont datés du 2ième siècle après J.‑C. C’est également sur cette opération qu’ont été découverts les six pots à onguents identifiés grâce à leurs graffitis ainsi que deux tombes à crémation.
Crédits : O.Blamangin/ K.Michel (O.Blamangin 1996, figure 9, « Harnes - Mc Cain », rapport de sauvetage, Direction Régionale des Affaires Culturelles du Nord-Pas-de-Calais, Service régional de l'archéologie).
Un vaste enclos pour la troisième phase antique
Un remaniement intervient au 2ième siècle, un fossé d’une largeur de 3 m vient délimiter un vaste enclos de 1,8 hectare pour se protéger dans un contexte d’instabilité politique. Ces dimensions importantes démontrent la volonté des occupants de bien délimiter leur propriété. Les bâtiments de la période précédente sont toujours utilisés.
Une activité d’abattage en milieu rural
Crédits : CD62 /DA / J. Chombart.
Des traces de découpes ont été observées sur les os, notamment sur la jugulaire d’un crâne de bœuf.
Proche du premier bâtiment, une fosse a servi de dépotoir pour les restes d’animaux en lien avec une activité d’abattage. Trois espèces sont principalement représentées : le bœuf, les caprinés (chèvre et mouton) et le porc. La proportion élevée des restes de bœufs et de caprinés surpasse largement les restes de porcs. Les animaux abattus ont un âge avancé de 8 à 10 ans, ce qui correspond à des habitudes de consommation dans un contexte rural antique. Les jeunes animaux étaient plutôt consommés en milieu urbain.
Les objets antiques
Galerie photos
La période moderne (1492-1789)
Crédits : CD62/ DA.
Après l’abandon du terrain à la période antique au 4ième et 5ième, l’activité humaine réapparaît à la période moderne avec la présence de longs fossés traversants du nord au sud les deux emprises de fouilles. Ces fossés ont été creusés pour canaliser l’eau, profitant de la légère déclivité du relief.
Crédits : CD62/ DA.
La plupart des fossés présentent des parois quasiment verticales à fond plat. Leurs largeurs varient de 2,10 m à 5,20 m, pour une profondeur de 0,30 m à 1 m.
La datation des fossés
Crédits : CD62/ DA.
Légende : Avers et revers d’un méreau.
Les éléments de datation des fossés sont faibles. Néanmoins, la découverte d’un méreau (un jeton de présence) en argent où l’on distingue sur l’avers le début d’une année commençant par 16, permet une datation des fossés au 17ième siècle.
Zone Marécageuse ou zone inondable ?
Crédits : BNF.
Extrait de la carte générale de la France. 041, [Lille]. N°41. 18e Flle, établie sous la direction de César-François Cassini de Thury par le cartographe Mesny (le jeune) .
Sur les bords de la Deûle entre Pont à Vendin et Courrières, une zone marécageuse fait l’objet d’un réaménagement de ce secteur au 13ième siècle. La carte du 18ième de Cassini montre que la zone est toujours marécageuse bien que le cours d’eau soit canalisé. Les observations géologiques montrent que le terrain subissait parfois des inondations.
Gestion de l’eau à l’époque moderne
Les fossés dont l’orientation est nord-sud, sont implantés dans le sens de la pente en direction de la partie canalisée de la Deûle (appelée la Haute-Deûle) qui se localise à 500 m. Il est envisageable que ces fossés aient été utilisés pour gérer l’eau en cas d’inondation ou pour servir de canaux entre deux parcelles de culture à l’instar des hortillonnages d’Amiens ou de Saint-Omer. La présence d’une saignée permettant à une barque de petite taille et légère de s’insérer rend envisageable cette hypothèse.